Oublier

Deux jours que le téléphone ne sonne pas.
J'ai oublié le son de ma voix. Tout le monde se passe très bien de moi. J'étais doué pour l'amitié, autrefois. Aujourd'hui j'ai le coeur pauvre par la force des choses. Pas même les moyens de m'offrir un gigolo.
Pendant ce temps je pourrais rédiger mon testament, mais à quoi bon léguer mes mauvaises phrases, l'attente déçue, des tartines d'obscénité ? Et à  qui ?
Seule compte l'épitaphe : "Coupable, coupable, et bien sûr innocent."

Le bambin que j'étais sursautait à chaque sonnerie du combiné. Persuadé qu'on appelait pour me dénoncer, j'étais terrorisé. Je le suis toujours.

Encore quelques décennies, pas plus de deux j'espère, et la maladie d'Alzeimer viendra effacer ma peur d'enfant. Ce sera fantasque. Je mangerai des bouquets de viollettes, rangerai les clefs dans le réfrigérateur, me perdrai en chemin. Ce sera le Léthé où noyer mes amants amnésiques.

Je n'attends plus que la mort, puisque l'amour des hommes m'a oublié.

"Ivre de vie, titubant d'espèrance, pour ne pas tomber, je me raccrochais aux épaules lisses et douces de compagnons de jeu qui passaient par hasard : nous tombions ensemble ; et c'est cette mêlée que nous appelions l'amour." (Marguerite Yourcenar, Feux.)

Comments

[Jonas de Dieppe]

Cotisons : à deux il y aura bien un mignon adapté à nos finances :)
Nous aurions le droit.
Nous sommes innocents.