Dieu vomit les tièdes
L'inattendu arrive parfois, la vie vous étonne, et c'est à ne pas y croire. Encore faut-il savoir improviser, saisir sa chance à l'improviste, être digne de l'événement venu par surprise.
Comme j'entrais dans la station Rambuteau, aux pieds des escaliers de la bouche, une ombre se détacha du mur de faïence : Benjamin lui-même, légèrement cuité, qui m'interpelle !
Mes jambes hésitent, s'arrêtent, flageolent. Que dire ? Une question me brûle : "pourquoi ne m'as-tu jamais rappelé ?" Mais sur ce quai de métro, au débotté, je n'ai pas le cran de lui demander, non plus que de l'embrasser, ni sur les lèvres, ni sur la joue.
Heureusement des propos plaisants me viennent à l'esprit. Lui au contraire masque avec difficulté son trouble, sa gêne. Je le laisse alors s'emmêler dans mes filets. Et plus je badine, et plus il bredouille. Je joue de ma voix qui se fait caverneuse, veloutée... Un temps.
Puis, main droite sur son avant-bras, je dis : "on se voit bientôt, j'espère" et je file à l'anglaise.
Minuit : il m'envoie un texto. La partie est gagnée. A cette heure, je suis très content de moi.
Trois jours plus tard un éclair de lucidité me foudroie, tout à coup je comprends mon erreur : plutôt que d'aller au raout où j'étais invité, j'aurais dû le suivre, et honorer de ma présence, la seule fête qui importait ce soir là, sa croupe. Me voici puni parce que j'ai manqué d'audace. Ce que j'espérais être un rebondissement de l'intrigue se résoudra pour finir en épilogue de celle-ci. Je ne reverrai pas Benjamin de sitôt.
Un génie farceur s'amuse de moi, faisant des blagues sur mon dos. Il se gausse à mes dépens par l'entremise de mes amants. Tandis que je patauge dans la mélasse des sentiments.
C'est là que j'ai décidé d'être priapique en diable.
"Nul d'entre nous n'est venu au monde sans une fente." (Pétrone, Le satiricon.)