Mauvais sang
La douleur m'accapare sans relâche depuis bientôt une semaine. Une gingivite aiguë : ça lance, ça gonfle, ça saigne, c'est à hurler. Physiquement, je n'ai jamais autant souffert. Jusqu'ici la médecine s'est avérée impuissante à me soulager. Six jours de souffrance, 144 heures passées à souffrir.
Dans ces conditions, hors de question de faire le joli coeur. A moins de tomber sur un vampire, aimant le goût du sang cueilli dans un baiser.
Les docteurs humanistes sont une espèce en voie de disparition. Un bon médecin commence par éradiquer la douleur, puis s'il le peut, il guérit son patient. Toujours il écoute les plaintes de ce dernier. Au lieu de quoi la plupart des toubibs ont un tiroir caisse à la place du coeur, ils comptent, engrangeant tous les quarts d'heure le prix d'une consultation. On voit ça à leur regard évasif, lorsque le temps imparti par client touche à sa fin. Je les hais. Il y a de rares exceptions. Mais je me rappelle surtout des copains à mon père qui portaient comme lui la blouse blanche sur une bedaine quinquagénaire, leurs blagues sexistes, leurs vacances en famille aux antipodes, et les maîtresses de cinq à sept dont ils se vantaient en riant.
C'est vers cinq heures et demie du soir que l'envie d'être aimé devient la plus cuisante. Le matin, je me réveille, ou je fais commer si. L'après-midi, je travaille, ou je fais comme si. Le soir, j'ai besoin de divertissement. Mais quand les bureaux se vident, que chacun rentre chez soi, s'attardant à quelques courses, que les rues bruissent d'agitation en tous sens, mon corps, lui, a besoin d'exulter. Le sang irrigue ma verge de la base jusqu'au gland. J'espère parmi la foule, un qui soit compréhensif, compatissant avec mes globules en ébullition. (Mon regard trop insistant, sur les hommes trop beaux.)
Mardi, 17h30 : j'aurai les résultats de mon test HIV.
"Paris est une ville formidable où les gens crèvent partout. Vielle folle. Cinq litres de sang qui circulent dans mes veines, tous les jours, 24 heures sur 24, non-stop. Et je l'entends qui coule, qui se presse, et qui cherche l'ouverture... Je ferais mieux d'aller dormir, maintenant. Dormir." (Philippe Katerine, Américaine.)
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