Le meurtre de soi
J'y pense tous les jours. Ma couardise m'empêche de passer à l'acte, mais je ne suis pas à l'abri d'un moment d'égarement qui serait fatal à ma complexion. Il y a des tas de raisons de se réjouir d'être en vie, je le sais. Cependant il ne s'agit pas d'argumenter. Je ressens, depuis bientôt 30 ans, l'absurdité de ma petite existence, une lassitude sidérale. Je manque d'élan vital. La bienveillance de mes amis, et quelques caresses sur ma peau m'ont maintenu vivant jusqu'à ce jour. Ce n'est pas vain de les aimer. C'est déjà beaucoup de se connaître corps.
(Jérôme qui me bat froid, que je ne reverrai peut-être plus, n'est pour rien dans ces réflexions qui me sont coutumières.)
J'étais à Lyon pendant une semaine, ponctuellement entouré d'amis, le train des choses allait gaiement. De retour à Paris, la désoeuvrance reprend ses droits. C'est-à-dire que désargenté, inactif, sans talent particulier, je m'esquinte à inventer un sens aux heures qui piétinent. Pour occuper mes convictions, récemment j'en suis même venu à militer dans un parti politique.
Se lever, se nourrir, se laver, dormir, déféquer, lire, se promener, écrire, etc... Pourquoi ?
Autant compter les pilules de l'armoire à pharmacie en les avalant une par une.
"Chaque suicide est un poème sublime de mélancolie. Où trouverez-vous, dans l'océan de littératures, un livre surnageant qui puisse lutter de génie avec cet entrefilet : Hier, à quatre heure, une jeune femme s'est jetée dans la Seine du haut du Pont-des-Arts." (Balzac, La peau de chagrin.)